Le regard des autres

Publié le par SAM

Le sens de la vue est essentiel pour appréhender notre monde et partir à sa conquête. Deux personnes qui se croisent, s’observent, se jaugent, se jugent.

 

Un seul regard, et tout est dit. Les prunelles s’épanouissent, les paupières s’écarquillent, l’iris s’illumine ? La personne est sous le charme ! Mais si les pupilles s’arrondissent à en éclipser toute couleur et que les sourcils se froncent, mieux vaut rester sur ses gardes….

 

La communication s’amorce de manière non verbale. Le regard est le préliminaire de la  rencontre. Parfois, cela ne peut aller plus loin puisque tout semble être dit, dès le départ.

 

En ce qui me concerne, il semble que les autres se fassent d’emblée une piètre opinion de moi. Comme si sur mon visage était inscrit : « Vous pouvez me faire les pires remarques, je suis née pour cela ! »

 

Voilà l’image que je renvoie aux gens, en général, depuis que ma mère a posé son regard sur moi. Je l’ai toujours senti peser comme la menace implacable d’une guillotine.

 

C’est à travers les yeux de celle qui m’a donnée la vie que j’aurais dû puiser la confiance. Pour grandir, avancer, m’envoler…

Au contraire, ils me paralysaient, entravaient mes actions, annihilaient mon envie. Un seul de ces éclairs fulgurants et je n’étais plus rien. Juste « sa chose ».

 

Si je devais les décrire, je n’en ferais pas un tableau très flatteur. Deux grosses billes rondes et globuleuses à la sclérotique rougeâtre, iris marron, pupilles dilatées… bovines. Ma mère a des yeux de vache ! Pourtant, je n’ai rien contre cet animal.

 

Dès que j’entreprenais quelque chose, deux gros calots sombres s’abattaient inéluctablement sur moi !

Lorsque je parlais à quelqu’un, sa bouche impatiente, tranchante s’exprimait à ma place.

Toujours cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête prête à me foudroyer ! Une étincelle moqueuse et sournoise qui me transperçait le cœur d’un ventricule à l’autre.

 

Une mère castratrice ! Pour laquelle je n’étais qu’une petite fille décevante, sans cesse en deçà de ce qu’elle avait rêvé. Comment voyait-elle celle que je n’étais pas ? Elle seule pourrait répondre à cette question.

Incapable de massacrer son enfant imaginaire, c’est à moi qu’elle s’en prenait.

 

Je pris pour habitude d’être écrasée sous le joug du jugement de mon prochain. Peut-être même suis-je devenue quelque peu paranoïaque, prenant à mon compte les chuchotements que j’entendais derrière mon dos. Aucune critique n’était faite en face, pourtant, coups d’œil et ricanements semblaient immanquablement dirigés contre moi.

 

J’avais été le jouet de ma mère. Je fus celui de mes camarades de classe.

Et tout comme elle m’avait appris à endosser la culpabilité à sa place, il devint évident pour moi que j’étais fautive si les autres me raillaient.

 

Il fallut que j’apprenne à ne pas me préoccuper du qu’en-dira-t-on et à passer outre les regards d’incompréhension ou de mépris. A puiser au fond de moi les ressources nécessaires afin de poser sur moi-même ce regard d’amour et de reconnaissance dont j’ai été privée.

 

Les années ont passé. J’ai fait ma vie.

Plus de deux cent kilomètres me séparent de ma mère. Je suis néanmoins persuadée que jamais je ne pourrai m’arracher intégralement de cette enveloppe de honte dans laquelle ma mère m’a momifiée.

 

D’ailleurs, dans les yeux de ma fille, c’est son regard que parfois je croise…...

 


Publié dans Textes courts

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