Mon bel amour

Publié le par SAM

Il est des amours qui ne meurent jamais, qui résistent au temps. Admirablement cachés dans un petit coin du cœur. Tellement à l’abri que personne ne les soupçonne d’exister. Pas même soi.

 

Mon premier grand amour appartient à ceux-là.

 

Vous verrez qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

 

Il est là, au chaud, discret, au point que je crois l’avoir oublié définitivement. Puis, il réapparaît insidieusement au détour d’une odeur, d’un souvenir. Dans mes rêves aussi, il me hante. Il revient vers moi, comme après une trop longue désertion. Déjà son image m’échappe.Des larmes arides me brûlent les paupières. Je me réveille. Un manque indescriptible me broie de l’intérieur.

 

Un amour ne perdure-t-il pas justement parce qu’il n’a pas été vécu ?

 

Je voudrais tant le revoir, savoir ce qu’il est devenu. La femme que je suis aujourd’hui lui dirait…

 

Toi et moi, nous n’avons rien partagé, sinon des conversations, des sourires, une lettre...Je t’y exprimais mes sentiments à ton égard.

 

Comment ai-je su que tu étais mon premier grand amour ? Je crois que je ne m’en suis rendue compte que plus tard. Ce n’est qu’avec le recul que j’ai compris tout ce que tu avais représenté pour l’adolescente en fleur que j’étais.

 

Je me souviens…

 

Tu étais le petit ami d’une ancienne camarade de classe. Je t’ai trouvé beau. Ange venu du ciel. Auréolé de blé. Regard de noisettes.

Quelques années plus tard, tu te retrouvais seul. Elle t’avait offert, et sa virginité, et sa duplicité : elle te trompât  avec un autre ! Très attaché, tu faillis en mourir.

Tu as poursuivi ta route, accumulant les soirées arrosées et les filles. Mais moi, je lisais dans tes yeux ce que tu t’efforçais de masquer : l’absence de ce père que tu n’as pas connu. Vide que tu comblais par l’accumulation d’amours faciles.

 

Tu me respectais. J’étais « la grande », bien que plutôt petite. Cousine de ta meilleure amie, j’avais une place privilégiée dans ton entourage. Un statut qui m’a mise au-dessus du lot : l’intouchable !

C’est une des choses que je n’ai compris que récemment.

 

Tous les jours nous nous parlions. Mon amour a grandi au fil de ces heures d’étés inoubliables. J’observais comment se déroulait ton quotidien. J’appréciais. Indéniablement, tu étais quelqu’un de bien. Serviable, gentil, intelligent. Je discernais qui tu étais vraiment. Pas ce dragueur invétéré!

J’assistais à ta déchéance. Avec indifférence au début, puis avec tristesse. J’étais là, disponible, et tu ne tentais rien. J’ai cherché pourquoi. Je me suis persuadée que j’étais trop moche, trop grosse. J’avais, pourtant, parfaitement décelé cette lueur d’admiration lorsque je t’étais apparue, embellie. Exit les shorts, certes très pratiques quand il fait chaud, mais peu seyants. Des habits qui mettent en valeur, une coiffure élégante, du maquillage, et tu m’as trouvé  « jolie ». Ce sont tes mots.

Ce soir là, tu as un peu dansé à mes côtés. Pas davantage. Tu étais saoul comme de coutume.

 

Début août, tu célébrais tes vingt ans. Conviée à ton anniversaire j’ai participé au cadeau collectif. C’est là que je t’ai donné cette lettre dont j’ai gardé un exemplaire. Inutile de la relire, j’en connais encore le contenu. Je t’expliquais que je t’aimais. Lorsque tu m’as remercié pour ma participation, tu as prolongé notre étreinte. J’ai savouré ce contact parce que je ne connaissais pas l’issue de ma déclaration. Je désirais une réponse, parce que les études allaient reprendre et que je voulais être sereine.

 

J’ai attendu presque un mois. Nous nous fréquentions moins. Un jour, j’ai décidé de te parler ouvertement. J’étais une jeune fille mal dans sa peau mais je souhaitais la vérité. Le doute, pour moi, est trop insupportable. Je préfère la déception à l’attente.

Tu m’as expliqué, avec douceur, que ma lettre t’avait énormément touché, mais que ton cœur était déjà pris.

Je fus abasourdie. J’étais persuadée d’avoir peu de chance mais cette nouvelle - même si je m’en réjouissais pour toi – m’arrachait tout espoir.

 

Je me souviens de cette fête prévue dans le week-end. Il était hors de question que j’en fasse partie, mais tu insistas pour que j’y vienne. J’ai senti que tu ne voulais pas que je sois malheureuse par ta faute.

Je m’y suis rendue, et c’est moi qui ai trop bu ce soir là.

 

Ensuite, j’ai coupé les ponts avec ce qui pouvait me rappeler à toi.

Tu es resté trois mois avec ta fameuse conquête, puis tu as renoué avec ta vie de bohême.

 

Il m’est arrivé de te revoir. J’étais encore sous le charme. Tu aurais pu profiter de la situation. Tu t’en es abstenu.

 

Dans le courant de l’année, j’eus le coup de foudre pour un garçon qui n’était pas toi, qui ne te ressemblait pas. Lui non plus n’a pas voulu de moi.

Suite à cet échec, une dépression m’a conduite chez une psychologue. Les deux mois d’analyse ont révélé que je n’avais pas réussi à faire le deuil, de toi, mon premier grand amour.

 

Vous pensez sans doute qu’il est inutile que je persiste à évoquer un être qui, visiblement, ne s’est jamais intéressé à moi.

 

Détrompez-vous !

 

Aujourd’hui, je sais qu’il m’aimait. A sa façon. Qu’il était digne de moi. Le fait qu’il se soit comporté en « grand seigneur » le prouve. Il a su mettre de côtés ses instincts de jeune mâle et n’a jamais perdu de vue que j’étais quelqu’un de précieux. Que j’étais encore vierge.

 


Publié dans Textes courts

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