L'infidélité du coeur

Publié le par SAM

Me voilà amoureuse ! Une semaine que je suis euphorique depuis cette inoubliable soirée.

 

Ma façon de réagir n’a pas changé depuis l’âge de mes premiers flirts : je reste paralysée.

Je meurs d’envie de regarder cet homme qui me plaît, de vérifier si lui aussi m’observe… Je n’ose pas. Je dois paraître lointaine, hautaine, nullement intéressée. Je suis présente, impatiente, pleinement troublée.

 

Je n’ai jamais vécu d’idylle avec un partenaire qui me plaisait vraiment physiquement.

Avec ceux qui m’attirent moins, l’approche est plus facile ! Je peux agir et contrôler. Les sensations sont gérables. Un homme correspondant à mon genre pourrait me faire sortir de moi-même…Chavirement…Etourdissement…Langueur…Liquéfaction !

 

Un individu que je trouve beau ne doit pas le savoir. Ne pas se douter de l’effet qu’il produit. Il y aura toujours en moi, lancinante, la crainte du : « Il a l’habitude qu’on le lui dise ! »

J’ai besoin d’être unique tout comme il est unique pour moi.

Lire son désir me comble, me flatte, néanmoins je sais très bien qu’il ne sera pas simplement une belle peinture dont on régale ses sens.

 

Aujourd’hui la donne est différente. J’ai trente ans et ne suis plus célibataire. Ce n’est pas juste mon propre destin que j’engage mais celui de deux autres personnes auxquelles je tiens.

Bien sûr je pourrais m’offrir un agrément, une fois seulement, goûter à l’inconnu. Pourtant, accepterais-je que celui à qui j’ai confié ma vie s’offre lui aussi ce divertissement ? Saurais-je comprendre, pardonner ?

Lui, je le devine, n’aurait aucune pitié. Je serais femme « adultère » et devrais en assumer les conséquences.

Je pourrais garder cette incartade pour moi, comme un secret qui me réchaufferait lorsque mon cœur serait gelé à se briser comme du cristal…mais je n’aime pas les secrets. Ils finissent toujours par être découverts, et je m’évertue à être sincère. J’en ai fait ma ligne de conduite. Je ne supporterais pas de trahir. De « me » trahir.

 

Je vais devoir me satisfaire des regards de Cyril sur moi. Répétés. Appuyés. Que me disent-ils ? Je ne suis pas douée pour la lecture des sentiments dès que je suis impliquée. Je suis une auditive, une amoureuse des mots dits sans détour.

Jamais je ne triche avec mon affect.

 

Cyril me fait vibrer. Ma tête chavire à m’en étourdir. Je flanche sous les tremblements qui m’assaillent. Tel un lopin de terre mis en jachère, des frissons me réveillent après de longues années de friche.

C’est un réveil des sens contre lequel je ne peux rien; une pulsion fulgurante, frustrante qui réclame davantage. Les corps aimantés aspirent à se rejoindre afin d’atteindre une compréhension totale. Se humer, s’apprivoiser, dans un échange d’ondulations dermiques.

 

Cyril s’approche. Mon cœur bat la chamade, à se rompre. Il prend place à mes côtés. Ne pas s’affoler. Je me tourne vers lui. Il en profite pour demander du feu. Je lui tends mon briquet en maîtrisant les mouvements de ma main. Mon contentement ne doit pas s’exhiber, ne pas se partager avec son auteur. Ne pas lui montrer le pouvoir qu’il a sur moi, par peur de passer pour une femme facile, une midinette qui s’excite au moindre mâle.

 

Cela fait une éternité que je n’ai pas flirtée !

J’oscille entre l’envie de m’abandonner et le besoin de me raisonner.

M’abandonner serait envisager une suite, un avenir aussi éphémère soit-il. Et cela je ne peux le permettre. La culpabilité serait insupportable.

Pencher pour la raison serait plus « correct », mais je ne suis pas dupe, mon intuition se fait « diable » dans un coin de mes pensées.

Je peux jouer le jeu, communiquer avec lui comme je le ferais avec n’importe qui. Seulement voilà, Cyril n’est pas n’importe qui. Il me plaît ! Cette position le rend particulier à mes yeux, parce qu’avec l’âge et le temps, mes goûts se sont  saupoudrés d’exigence, voire d’intransigeance.

 

Il me demande si je passe une bonne soirée, si j’ai aimé sa prestation.

Evidemment que j’ai aimé ! Je me suis délectée de ses postures sensuelles, des envolées nirvanesques de sa voix. Je l’ai suivi sur le chemin paradisiaque de la passion, m’imaginant être le corps sur lequel il faisait danser ses doigts, provoquant des frissons insupportables de bien-être. J’étais l’oreille à laquelle il murmurait des mots sucrés, criait son assouvissement orgasmique.

 

Je ne peux pas lui avouer cela de but en blanc, au risque de me ridiculiser, de me faire étiqueter de groupie hystérique. Je dois rester de marbre, n’extérioriser aucune émotion alors que mes entrailles brûlent. Jeter de la glace pilée pour éteindre l’incendie que chacun de ses regards attise à nouveau.

 

Je parviens tant bien que mal à articuler quelques paroles.

Je sais que l’inévitable est là, entre nous. Qu’il nous guette et nous attire inexorablement. Lui aussi le sait. Inutile de combler le silence, nos corps ont pris la relève. Nos regards s’animent d’une singulière étincelle. Les flux circulent de son épiderme au mien sans que le contact soit nécessaire.

 

Soudain Cyril me prend la main et m’entraîne avec lui. Une décharge électrique me transperce de part en part, une sensation d’évidence, comme si j’avais trouvé un port d’attache.

Je le suis. Nous marchons côte à côte sur le trottoir, à cadence soutenue. Je flotte.

 

Arrivés à la voiture, nous nous arrêtons et nous enlaçons éperdument. Je sens ses mains courir dans mes cheveux courts. Les yeux fermés, nous buvons nos vies offertes. Nous nous retrouvons face à face à nous dévisager de surprise, béats. Nous nous sommes trouvés.

 

Durant le trajet, nous ne parlons pas. La main de Cyril est là, dans la mienne, que je couvre de mon autre paume, me cramponnant à lui comme s’il pouvait s’évaporer. Il me caresse de son pouce ; velours qui me procure la douceur dont je manque tant et qui me ferait hurler de plaisir.

Comment aurais-je pu m’empêcher de vivre cela ? J’en ai autant besoin que n’importe quelle autre femme. J’ai beau camoufler mes appétits, ils sont là, cruellement ardents. Mon corps est vivant ! Ressentir ces débordements d’énergie me fait monter des larmes que je ravale aussitôt pour qu’il ne les voie pas. Il n’en comprendrait pas la signification…

 

La voiture s’immobilise. D’un regard Cyril veut savoir si je suis toujours d’accord.

Oh que oui !  En guise de réponse, je lui offre un sourire mi-canaille, mi-tendre. Il me sourit à son tour, ravi.

Il me conduit jusque chez lui. Nous grimpons les deux étages de l’immeuble, main dans la main.

Dans l’appartement, pièce unique tamisée par la lumière des réverbères qui filtre à travers les rideaux, je pose mes affaires auprès des siennes. Cyril me demande si je veux prendre une douche. J’acquiesce. Ne pouvant pas le laisser, je le retiens. Il a compris et me guide vers la salle de bain. Nous nous déshabillons, lentement, pour mieux nous imprégner du corps de l’autre, de nos parfums enivrants, de chacun de nos membres, de nos muscles qui saillent sous la peau. En faisant glisser son jean, je rougis en découvrant son désir incarné de chair qui pointe vers moi. J’ai du mal à croire que je puisse lui faire autant d’effet. Cela me redonne confiance, un court moment, car très vite, je me dis qu’il n’est qu’un homme que la vue des formes d’une femme ne laisse pas indifférent. Toutes ces années d’habitude, de monotonie, ne s’effaceront pas en une rencontre, aussi merveilleuse soit-elle…

 

Nus, en vis-à-vis, nous ne nous quittons pas des yeux. Mes jambes vacillent, la volonté de me soutenir s’envole tellement j’ai envie de me jeter dans ses bras, de me donner à lui, entière.

Sous la douche, purification des inhibitions qui s’écoulent avec l’eau ruisselante... Nous nous serrons à nous étouffer…

Peu à peu notre étreinte se fait plus douce, voluptueuse. Nos baisers deviennent langoureux, profonds. J’en perds le souffle, halète sous l’empressement de sa langue. Respirer pour ne pas sombrer dans l’affolement.

 

Nos mains explorent nos corps, chaque parcelle est effleurée.

 

Faire durer la jouissance au-delà de nos attentes.

Parvenus au bout de nos limites, Cyril me soumet avec assurance. Je le laisse me pénétrer, incapable de résister à ce désir insondable.

Mes lèvres s’entrouvrent et trahissent l’excitation qui s’est emparée de moi.

Rivée à ses yeux, accrochée à ses épaules, je laisse déferler les vagues de ravissements qui m’inondent. Les pupilles de Cyril se rétractent pour n’être plus qu’un minuscule point noir, le bleu de son regard envahit l’iris, fontaine à laquelle je m’abreuve. Nous luttons pour garder nos paupières écarquillées, puiser le délice à la source de notre âme, mais elles clignent et se ferment entièrement sous l’intensité de l’émotion, voiles de pudeur sur une aveuglante extase.

Nos plaintes de satisfaction se mêlent, s’emmêlent en un râle qui émane des profondeurs de nos cœurs.

 

Sur le lit, nos corps fouillés, épuisés et repus s’écroulent.

 

Je me réveille. Chez moi. Mon mari dort à mes côtés. Je m’étire de tout mon long, tel un félin émergeant de sa torpeur. Peut-être cela se serait-il déroulé ainsi si Cyril était venu s’asseoir auprès de moi…

Mon activité onirique m’aura au moins gratifiée d’un rêve éblouissant qui m’oxygénera dans mes moments d’ennui irrépressible, irrespirable.


Publié dans Nouvelles

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M
Quel rêve! Quelle sensualité! Un texte fort et intense, très bien écrit. Le sentiment de trouble présent dans tout le texte lui donne du charme. Infidèlité de coeur, le titre est bien choisi.
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