Voyageuse littéraire

Publié le par SAM

Nul besoin de passeport ou de bagage, c’est avec les vêtements qui pour l’heure m’habillent que je voyage.

Sans encombre j’ouvre la couverture reliée, l’unique porte de cette envolée avant le grand départ. Mais d’abord, je fais sa connaissance. Son jambage, sa feuillure… La touchant doucement, du bout des doigts, pour ne pas l’effaroucher. L’amadouer, afin qu’elle m’autorise à pénétrer dans son antre et à en découvrir tous les secrets. J’en hume les senteurs, carton pressé ou cuir vieilli, en flaire les somptuosités qu’elle me réserve…

Quand enfin je la sens soumise, je la coulisse et m’y glisse.

Confortablement installée, à califourchon sur un « t », en balancelle sur un « o », ou en amazone sur un « i », je vogue sur les méandres mystérieux de ce « toi » qui m’appelle et m’invite à me mettre en mouvement. J’adopte tantôt une vitesse de croisière, tantôt l’allure d’une fougueuse cavalière. Au fil des longues phrases, je m’arrête à l’orée d’un mot, puis d’un autre, cueillant çà et là les bribes d’un paysage envoûtant, les vestiges de demeures somptueuses…en saisir le sens, en goûter l’usité.

Face à un style hachuré j’accélère au contraire la cadence, avide de connaître le dénouement. Je m’adapte à la ponctuation, reprenant mon souffle à chaque postillons d’encre, sautillant à cloche-pied sur les points de suspension, m’étirant jusqu’au point d’exclamation, délassant mon dos au point d’interrogation, sautant le plus haut possible pour attraper les guillemets, m’asseyant franchement sur un point !

Si s’offre à ma vue une expression déroutante, je m’en remets à mon compagnon de route, mon guide, qui de son érudition, satisfait ma curiosité et comble mes lacunes.

Pour visualiser au mieux les descriptions, les visages qui défilent sous mes yeux, je ferme les paupières, un instant. Avec le temps, ces images subiront des distorsions qui me les rendront plus personnelles.

Me voilà dans la peau de mes héros en train de vivre toutes sortes de drames, ressentant les mêmes troubles, les mêmes chagrins, les mêmes injustices ! Je veux plaider en faveur de cet homme qui pour un morceau de pain s’est retrouvé au cachot… Empêcher cette femme de s’empoisonner pour en finir avec l’existence plutôt que d’en supporter le désespoir et la monotonie… Prendre sur mon cœur ce jeune homme tombé dans un abîme sans fond après la fuite de sa bien-aimée… Etre l’intermédiaire entre ces deux amants, transmettre la lettre qui les sauverait d’une fin funeste… Avouer à cette péronnelle que son amour est vain et ses pleurs immérités ; en effet, l’homme perfide s’est joué de la belle et s’est, dans les bras d’une autre, prestement consolé…

Je vole avec délices vers ces lieux où de simples mots réussissent à me transporter…Assise sur une plage, je contemple un merveilleux coucher de soleil dont les couleurs paradisiaques font monter la marée de larmes… Descendant la rue d’une ville de campagne, j’observe chaque détail, minutieusement… Passant devant une maison où la glycine s’impose, tellement envahissante que la fragrance entêtante me fait presque fuir…

La porte se referme, je redescends sur terre. De la paume de ma main, je presse voluptueusement son dos, en un geste de remerciement. Dernière caresse.

Une atmosphère singulière s’est inscrite sur mes sens. Emotion si intime qu’il m’est d’ailleurs impossible de narrer mon étrange périple. Je ne peux en formuler qu’un sentiment plus ou moins enthousiaste qui incitera, je l’espère, un autre voyageur à tenter lui aussi cette aventure.

Peut-être n’ai-je pas envie de confier ce qui semble n’avoir été adressé qu’à moi seule ? A travers ce « toi » énigmatique transmis au-delà du temps et de l’espace, l’auteur m’a désignée comme l’actrice essentielle de son livre, celle qui lui insuffle son air vital. Sans moi, il n’existerait pas. Je m’y suis tellement investie que cette histoire est devenue « mon » histoire.

Cette impression que j’ai faite mienne, me nourrit un moment… Mais bien vite la fleur de l’évasion rejaillit en moi, car extrêmement vorace demeure mon imaginaire.

 


Publié dans Prose

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C
Un bien joli voyage littéraire ! quel poésie! tu joues avec les lettres, les signes de ponctuation , telle une éponge,l'imaginaire exacerbé, tu absorbes toutes les sensations, tous les sentiments, tous les sens sont en éveil pour laisser venir l'inspiration et nous offrir tes plus beaux mots, le costume de voyageuse littéraire te va bien ! amicalement chrystelyne
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