L'écriture sur divan !

Publié le par SAM

L’art littéraire, ou « lituraterre » comme s’amusait à l’appeler Lacan, intéresse la Psychanalyse.

Ces deux disciplines parfois se croisent et se répondent, seulement si elles sont à l’écoute l’une de l’autre.

Michel Leiris compare d’ailleurs l’écriture à la corne acérée du taureau.

 

Elles ont en commun deux choses :

Tout d’abord, la langue. Selon Schiller, la langue est ce qui sépare les êtres mais également ce qui les unit. En effet, la langue d’un auteur le distingue à la fois de lui-même et du lecteur mais le rapproche de chacun d’eux dans le même mouvement.

 

Egalement, la schize ou coupure qui existe entre l’œil et le regard. Plotin dit : « Pour voir, il faut perdre conscience de soi. Et pour avoir conscience de sa vision, il faut cesser en quelque sorte de voir.»

 

Plusieurs formes littéraires existent, nous verrons ce que pour chacune d’elles la Psychanalyse a découvert.  Nous étudierons plus exactement la poésie, l’autobiographie et l’écriture automatique.

 

     L’étymologie grecque du mot poésie signifie « faire ». Le rôle du poète est d’inventer un langage et une autre façon de voir le monde. Il parle de choses ordinaires en les rendant merveilleuses, neuves aux yeux de ses lecteurs. Cette activité ne se plie pas au temps naturel. Elle l’annule, s’en détache, en imposant un temps nouveau, son propre temps. Au-delà du rythme émanant des mots, l’écriture fait surgir des images qui y sont enfermées.

 

Tout un chacun peut créer de l’écriture, grâce par exemple, aux ateliers d’écriture. Mais l’écrivant doit savoir ce que cela signifie pour lui que d’écrire, savoir ce qu’est « l’art d’écrire », connaître son rapport à cette expérience des limites, cette infinie solitude de la création. Le poète s’est lui aussi penché sur la question, et, ce qui prime, d’après lui, c’est la représentation que l’écrivain se fait des processus d’écriture poétique.

 

La poésie et la Psychanalyse sont en rapport avec la perte, ainsi qu’avec l’objet.

Dans la poésie, on fabrique un objet qui exprime celui sur lequel écrit l’auteur.

En psychanalyse, on tend vers la perte d’un objet.

Si dans la Psychanalyse on parle de contre-transfert entre le thérapeute et ses patients, dans la poésie, il en va de même entre le poète et ses créatures, mais contrairement à la première, les créatures ne renvoient pas au poète son propre message, transposé, comme le fait le thérapeute avec son patient.

Si le transfert entre le patient et le psychanalyste doit prendre fin un jour, ce processus entre l’écrivain et sa langue est éternelle.

 

La poésie est une forme de la pensée des hommes ; le poème, une forme d’écriture pour exprimer cette pensée.

« Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé » Paul Eluard.

Peut-être est-ce une présentation pour mieux «  pénétrer le secret des choses », pour mieux les faire partager, pense Henri Bassis.

L’écriture génère très vite du sens, elle renvoie à des structures, à des lectures, à un intertexte, à une autre écriture, des textes auxquels on peut se référer.

Le poète se trouve dans une situation d’inconnu, de risque, d’absence de sens, « l’ab-sens ».

C’est une volonté de se mettre hors référant et de faire parler, se laisser parler, par son imaginaire, - « la création, c’est un fantasme qui se transforme en obsession » -, de faire le tour de ce fantasme.

Pour Paul Eluard, « la poésie est une industrie…La poésie est contagieuse ».

 

Francis Ponge parle de « l’Objoie ». C’est-à-dire que «  la poésie est toujours au bord du gouffre, gouffre du sens, gouffre de l’autre. (Le) texte installe une petite faille dans cette falaise où le guetteur épelle / appelle « un mot du bout du monde ».

« Le texte est toujours une énigme…comme la promesse de l’éternité qu’un regard entrevu vous offre pour toujours ».

 

     L’autobiographie est une manière de ressaisir son passé. Le programme de l’auteur est « J’écris ma vie ». Nous avons à faire à un sujet qui sait qui il est et ce qu’il a été. Il s’agit d’une identité stabilisée qui se récapitule. Mais il se complaît dans le confort d’un espace littéraire clôturé puisqu’il se doit de respecter la chronologie. On parle d’isochronisme car elle impose une constance de vitesse. Le rôle de la mémoire a une place prépondérante dans ce type d’écriture. L’autobiographie permet à l’écrivain d’échapper au temps en transformant sa vie en destin.

On trouve une dimension rétrospective dans l’autobiographie puisque « Je raconte ce que j’ai vu », ce qui suggère un côté perfectif.

 

L’autobiographe se trouve protégé, inattaquable puisqu’il dévoile la vérité.

Mais est-ce pour autant fiable ? Pour Philippe Lejeune, cela ne fait aucun doute : «  Je crois qu’on peut s’engager à dire la vérité. »

Mais pour Valéry : «  En littérature, le vrai n’est pas concevable ».

Ce que soutient Bertolt Brecht : «  Celui qui ne donne de la réalité que ce qui peut être vécu ne reproduit pas la réalité. »

 

L’autobiographie permet de relier le Soi ancien et le Soi présent. Le Soi est lié à la culture qui s’élabore tout au long de la vie. L’autobiographie retrace donc l’édification du Soi à travers toute l’enfance.

Plus précisément, quand l’écrivain souhaite se faire pardonner, c’est le mécanisme du Moi (partie de la personnalité en contact avec l’extérieur) et surtout l’Idéal du Moi (formée par l’identification à des personnes aimées et par refoulement du ça) qui entre en jeu.

Lorsque l’auteur se soulage de sa tristesse, cela vient du manque de Soi.

 

Au XXème siècle, l’autobiographie évolue grâce à la révélation par la Psychanalyse du caractère illusoire de la connaissance de Soi et sa prise en compte de la sexualité.

Avec la Seconde guerre Mondiale, on s’aperçoit qu’il est parfois plus facile pour l’écrivain de raconter sa vie dans l’ « autofiction », inventée par Doubrovsky.

D’ailleurs André Gide énonce : « Les mémoires ne sont jamais qu’à demi sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu’on ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman. »

Et selon Jorge Semprun : «  Seul l’artifice d’un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. »

Pour se dire, tout en restant dans l’ombre, l’auteur va développer une forme et un langage moins direct, comme par exemple la forme dialogique (Nathalie Sarraute, Enfance), ou de deux récits intercalés (Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance). Enfin, apparaissent de nombreuses œuvres manifestement autobiographiques mais qui restent indéterminées (Annie Ernaux, La Place).

 

     L’écriture automatique est directement liée à la Psychanalyse puisqu’elle reprend une de ses règles fondamentales à savoir celle de la libre association.

Andréa Breton, qui est le fondateur de cette forme d’écriture, veut transposer les méthodes de Freud à sa démarche créatrice. Pour tenter de tirer de lui-même « une réalité absolue » ou « surréaliste ». Il est également influencé par Pierre Janet, un médecin psychiatre.

Il fonde donc le «  Surréalisme »  en 1920.

 

L’écriture automatique est donc une incitation à l’expression de l’inconscient de l’être.

Voici ce que Lagache en dit : Il s’agit d’«  une consigne qui est donnée au patient de dire tout ce qui lui passe par la tête…sans rien exclure de l’expression de soi et la communication avec autrui ».

Andréa Breton explique comment cela se passe : «  On vide son esprit, on laisse jaillir les mots spontanément, on laisse parler le langage, s’opérer une sorte de dictée de l’inconscient, on transcrit strictement ce qui apparaît dans la conscience claire ».

De cette façon, les surréalistes cherchent à découvrir une autre langue, susceptible de rendre au mieux la vérité de l’être et sa richesse, et ce, par l’intermédiaire de l’écriture automatique.

Dans la langue classique, la pensée donne sa forme au discours.

Dans l’écriture automatique, le signe précède le sens.

 

Cette démarche est accessible à tous. Elle permet une révélation de soi à soi-même, elle permet le désir de connaissance d’aller au-delà des apparences limitées du « visible ».

Mais des problèmes liés à l’écriture automatique ont été décelées et mettent donc en doute une telle pratique.

Elle entraînerait des hallucinations, une perte de soi (dissociation de l’esprit comme dans les séances de sommeil hypnotique.)

L’individu est forcément influencé par les mots, il a du mal à rompre avec son environnement, il a des difficultés à se libérer de la censure.

Au final, comment être sûr de la véracité du message obtenu ?

 

     Tout le monde peut écrire, du moment qu’il y ait un minimum de travail sur le langage.

Quelque soit la forme utilisée (poésie, autobiographie, écriture automatique), l’art littéraire procure du plaisir et donne également du pouvoir sur le monde. Il permet à l’écrivain de trouver le sens de son destin.

 

La mise en jeu de l’imaginaire par l’écriture est régulatrice de la vie mentale profonde.

Selon Zirignon Grobli, peintre et thérapeute : « La fonction de l’activité créatrice est qu’elle révèle à l’artiste sa capacité de maîtriser ses pulsions de mort. » Cette purification par le langage débouche sur une métaphysique, une transcendance : «  elle lui fait entrevoir son essence immortelle médiatisée par son style. » Il va même plus loin en affirmant que cela nous ouvre la voie d’une difficile fraternité entre les hommes.

 

Si la Psychanalyse étudie l’écriture, elle n’en possède pas la clé, même si elle aide à la lecture des textes.


Publié dans Essais

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