Etre ou ne pas être artiste

Publié le par SAM

On ne devient pas artiste, on l’est ou on ne l’est pas.

 

Cette pensée m’est venue instantanément. Sans réflexion. Sans élaboration. Sans contrôle. Instinctivement. Peut-être même l’ai-je lu ou entendu quelque part.

Que je sois la première ou non à l’avoir formuler, peu importe. Ce qui compte n’est pas d’en détenir le monopole, mais d’être en total accord avec elle, comme une évidence.

 

Cette conviction vous concerne tous. Vous les écrivaillons, les scribouillards, les dépuceleurs de feuilles vierges : semeurs d’idées, peintres de mots, carreleurs de lettres, charpentiers de phrases, horlogers grammaticaux… Oui, c’est à vous que cet essai s’adresse.

 

Ne vous sentez-vous pas créateur d’un monde nouveau ? Ne ressentez-vous pas l’angoisse de mener à bien votre entreprise, tous ces doutes, ces déroutes qui parfois vous font dévier de votre route ?

Et cette satisfaction, que dis-je, cette extase quand vous avez atteint votre but, qui vous semblait d’autant plus loin qu’il vous paraissait irréalisable, enfin vous le touchez du doigt, le voyez noir sur blanc, concret ; cette pleine jouissance qui vous fait vous sentir « vivant », « utile », qui vous donne envie de pousser l’échéance d’un cran…

 

Ah ! Artiste, je ne le suis que pour moi-même. Et alors, n’est-ce pas suffisant en soi, ce bonheur apporté sans personne.

N’avez-vous pas remarqué la lueur de plaisir dans le regard de ceux avec lesquels vous avez partagé votre « œuvre », ne serait-ce qu’un instant, fugitif, mais existant ?

Alors, ne murmurez plus timidement que vous vous considérez comme un artiste, mais exprimez-vous avec conviction, aussi sûrement que le ciel est bleu, le visage serein, sans rictus de gêne sur le coin des lèvres, ni les paupières qui se baissent d’en avoir trop dit, les mains ouvertes sur votre vérité.

 

Ah ! ce n’est marqué nulle part, aucun papier ne le prouve. Aucun papier n’indique vos défauts, vos qualités, vos traits de caractère, pourtant vous les connaissez mieux que quiconque. Sauf si vous êtes encore à la recherche de vous-même.

Lorsque l’on est artiste, c’est que pour poser ses yeux sur le monde qui nous entoure, il faut avoir cessé de les poser exclusivement sur soi, détacher le regard de son nombril dont la contemplation ne suffisait plus.

 

Ah ! les grands artistes ont eu une vie extraordinaire. Vous utilisez en effet le passé, car les artistes ne sont reconnus qu’une fois mort. Donc, il est encore trop tôt pour vous.

Ils se sont attelés à leur tâche et rien ne les en a détourné. Leur vie vous paraît très claire, limpide, connaissant dans leur travail une progression lumineuse, alors que votre vie est dissolue, rythmée en permanence de hauts et de bas, commençant mille travaux, n’en finissant aucun, ou longtemps plus tard et laborieusement.

La vie de ces grands artistes n’est pas raconté par eux-mêmes puisqu’ils ne sont plus, mais par des gens dont c’est le métier : enjoliveurs d’existence. Il faut bien que les livres se vendent !

Et pour que vous puissiez vous imaginer la vie de ces personnages, tout est fortement schématisé, réduit à son strict essentiel. Pour que vous puissiez y pénétrer sans mal, comme si ces personnes, vous les connaissiez mieux que n’importe qui, comme si vous étiez leur ami le temps que dure votre lecture.

Sinon, ce serait incompréhensible tellement les événements s’enchevêtrent les uns dans les autres, sont liés entre eux, comme un long fil doré qui s’enroule, se mêle, se bouloche, se déroule, puis s’emmêle sur lui-même.

Le biographe en défait les nœuds pour présenter à ses lecteurs un fil unique, lisse, visible, net.

 

Il existe des cotisations pour acquérir un statut social. Cela vous rassurerait, et aux yeux du monde vous inscrirait dans une catégorie particulière, vous donnerait cette reconnaissance sociale qui vous fait tant défaut.

Mais dites-vous bien que cela ne changerait en rien votre talent. Il amenuiserait seulement l’état de votre portefeuille, car pour prétendre à quelque situation que ce soit, il faut payer, et rien ne vous garantie de recevoir en retour.

 

La plupart des gens apprécient de lire un beau texte, de contempler un admirable tableau. Pour ce qui est de débourser de l’argent pour en devenir le propriétaire, c’est une autre affaire.

Tout ce qui est artistique est souvent très cher, difficilement accessible, réservé à une élite. Considéré comme surestimé par ceux qui ne connaissent pas la durée, la sueur qui ont été nécessaires à sa création.

Et si vous le vendez à un prix abordable, les gens penseront qu’il équivaut à sa qualité, c’est-à-dire : médiocre.

 

L’artistique n’est pas quantifiable : Il y a des textes qui s’écrivent à toute vitesse, d’autres qui demandent plusieurs jours.

Si on évaluait son coût par rapport aux heures passées, que faire des ses minutes écoulées à lever le nez de la feuille, à rêvasser, à s’enrichir d’une vision nouvelle qui servira à peaufiner ce texte commencé ? vision qui ne sera pas d’emblée remarquable, mais qui dynamisera le talent, en l’affinant, en le rendant plus subtil.

Aussi pour que cette vision nouvelle puisse être exploitée, il faut lui laisser le temps de décanter comme un bon vin, afin que s’affirme tout le bouquet.

 

L’artistique n’est pas non plus qualifiable : ce qui semble grandiose à un groupe de personnes, apparaît dénué d’intérêt pour un autre.

Pour cela, il faudrait que tous les êtres humains soient égaux de part leur sensibilité, leur vécu donc, pour juger à l’identique d’une même œuvre. Fort heureusement, chaque individu se veut singulier, et c’est dans cette différence que se constitue cette capacité à voir autrement, à apporter sa contribution, son propre regard dans l’Art, et par conséquent, à partager pour montrer son propre point de vue.

Bien sûr, l’artiste préfèrerait que ces œuvres soient unanimement appréciées, pour qu’il n’ait plus aucun doute sur la qualité de ce qu’il propose. Pour cela, il faudrait que tous aient un pareil ressenti. Et heureusement, ce n’est pas possible.

L’artiste doit donc apprendre à se satisfaire lui-même de ses créations et prendre les applaudissements extérieurs comme un « plus » qui lui est alloué.

Son talent ne doit pas reposer sur l’approbation d’un tiers, mais sur son propre contentement.

 

Il y a des gens qui créent et ne seront jamais célèbres. Cela signifie-il pour autant que leurs œuvres n’ont aucune qualité, que ces artistes sont des ratés ?

On est submergé par le médiatique, ces écrivains qui passent à la télé, à la radio. Tellement connus que chaque année, leurs livres se vendent comme des petits pains, même si le levain n’a pas convenablement gonflé. Puisque c’est un tel, on achète.

Ces artistes sont embrigadés dans la loi commerciale. Ils sont dans l’obligation de respecter le contrat qui réclame un roman ou deux par an. Et si l’inspiration n’est pas au rendez-vous cette année-là, tant pis, on compte sur la notoriété de l’auteur pour faire exploser les ventes.

 

Et tous ces autres dans l’ombre ? Certains parviennent à vivre au mieux, avec des ventes suffisantes qui leur permettent de poursuivre leur aventure d’écriture. Peut-être n’en avons-nous jamais entendu parler, ou très peu. Au moins travaillent-ils à leur rythme, insoumis à la dictature du marché.

Les autres comme vous, pas encore publiés, disposez à l’heure actuelle de suffisamment de possibilités pour réussir à vous faire lire. Avec l’ouverture de sites Internet, les distances se réduisent, et c’est déjà un grand pas. Les prises de contact sont facilitées, tout comme l’envoi de manuscrit. Néanmoins, le hasard a également son mot à dire.

 

Si le talent seul suffisait, il y aurait peut-être davantage d’écrivains, ou au contraire, bien moins. Une infime partie de votre destinée se joue à la roue de la chance, et ce n’est pas vous qui la tournez. Alors, écrivez, puisque tel est votre plaisir, et ne vous posez donc plus autant de questions !

Publié dans Essais

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C
<br /> <br /> Magnifique texte, il me touche de plein fouet. Merci<br /> <br /> <br /> <br />
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C
Ton texte bien sûr m'interpelle  car je m'y retrouve , merci de nous accorder ce titre là que l'on n' ose  pas revendiquer , à peine formuler  tout bas  à quelques privilégiés !bises chrystelyne
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